L’usine Thyssenkrupp d’Isbergues, près de Béthune, fait face à l’une des plus graves crises de son histoire. Ce vendredi 12 décembre, le site a été entièrement mis à l’arrêt, comme celui de Gelsenkirchen en Allemagne, et ne redémarrera pas avant le 12 janvier. Un ralentissement qui ne constitue selon les salariés qu’un prélude : à partir du début de l’année 2026, la direction prévoit de ne faire tourner l’usine qu’à 50 % de sa capacité pendant au moins quatre mois.
Pour les 550 salariés du site français, la situation est vécue comme un choc. « Aujourd’hui, c’est clairement un risque énorme. On ne peut pas continuer à faire tourner une aciérie avec 50 % de volume en moins », alerte Alberto Blanco, représentant syndical CGT à Isbergues. La direction allemande a d’ailleurs prévenu cette semaine que 1 200 emplois, répartis entre les deux sites européens, pourraient être supprimés en l’absence de mesures rapides.
Un marché bouleversé par les importations asiatiques
Isbergues produit de l’acier électrique à grains orientés, matériau indispensable pour les transformateurs électriques, les réseaux d’énergie et les éoliennes. Un matériau décrit comme « stratégiquement vital » par la directrice de la branche acier, Marie Jaroni.
Mais depuis 2022, le marché a été submergé par des importations asiatiques à bas prix. « On voit l’Asie inonder l’Europe avec du grain orienté de bonne qualité et en gros volumes », explique Alberto Blanco. Les importations ont triplé en deux ans, mettant à genoux les sites européens.
Là où les producteurs asiatiques bénéficient de coûts plus faibles et d’une réglementation moins contraignante, Isbergues doit respecter les normes environnementales et sociales européennes. Résultat : une chute brutale des marges et une sous-utilisation inquiétante des installations.
Le site d'Isbergues laissé en sursis
L’arrêt total de la production pendant un mois plonge le site dans une période d’incertitude extrême. Les salariés, eux, vivent dans l’angoisse : « Tout le monde a le moral dans les chaussettes. Les outils tournent moins, les volumes baissent, on fait des économies partout pour tenir… et chaque jour une mauvaise nouvelle tombe », témoigne Alberto Blanco.
L’inquiétude est d’autant plus forte que les promesses d’investissements tardent à se concrétiser. L’usine réclame depuis deux ans la construction d’un nouveau laminoir, indispensable pour moderniser la production. « Même si on décroche des investissements, il faudra encore deux à trois ans avant de produire avec un nouveau laminoir », déplore le représentant syndical.
Un risque de dépendance totale de l’Europe
Au-delà de l’avenir d’Isbergues, c’est la souveraineté énergétique européenne qui est en jeu. L’acier à grains orientés est indispensable à la transition énergétique ainsi qu'au renouvellement massif des réseaux électriques mondiaux. « Si on perd ces deux sites européens, on deviendra totalement dépendants de l’Asie pour un produit d’avenir. En cas de tensions ou de changement politique là-bas, on pourrait se retrouver sans grain orienté. Ce serait une catastrophe pour l’Europe », insiste Alberto Blanco.
Cette dépendance pourrait mener à des pénuries, des retards dans le développement des énergies renouvelables et une incapacité à moderniser les infrastructures électriques, un scénario que les syndicats qualifient de « danger majeur ».
Un appel aux parlementaires européens
Pour les salariés comme pour la direction, la solution ne viendra plus du marché. Elle doit venir de Bruxelles. Les représentants d’Isbergues ont alerté plusieurs responsables européens, notamment Stéphane Séjourné. « Tant qu’on n’aura pas de protections aux frontières, comme aux États-Unis, on restera dans cette situation. Notre avenir dépend des décisions européennes », affirme Alberto Blanco.
Le temps presse : « Le temps joue contre nous. Chaque jour sans décision, on perd de l’argent, on se rapproche d’une fermeture. On n’a jamais vécu une situation pareille », confie-t-il.
Pour Isbergues, 2026 sera une année décisive. Le site, qui a déjà vécu de nombreux cycles économiques, n’avait jamais affronté une menace aussi directe. Les 550 salariés espèrent désormais que l’Europe agira avant que ne tombe une décision irréversible.
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