« J'en rêve encore de temps en temps. En réalité, ce sont plutôt des cauchemars. » C'était il y a plus de trente ans, et pourtant Adrien Bonnel a encore du mal à trouver le sommeil. À Riaumont, il a passé quatre ans, de ses 10 à 14 ans, entre 1992 et 1995. Ses parents l’y ont envoyé parce qu’il était dissipé en classe. « Riaumont avait la réputation de remettre les fauteurs de troubles dans le droit chemin », explique le quadragénaire.
Entrée du village d'enfants de Riaumont, à Liévin
Crédit photo : Clément Demazure
Pour lui, cette institution catholique aux méthodes éducatives d’un autre temps rime avec enfer. Adrien dit y avoir subi des mauvais traitements dont il garde des séquelles psychologiques et physiques.
« J’ai quand même eu un tympan perforé par un des religieux. C’est simple, il a dû prendre ma tête pour un ballon de rugby, ou de foot. Il m’a jeté à terre, puis il m’a donné des coups de pompe dans la tronche », relate l’ancien pensionnaire, encore marqué par cette scène. Malgré les mauvais traitements, les insultes, les punitions abusives et violentes, Adrien relativise : il n’a pas vécu le pire. « Pour ma part, c’était physique et moral. Mais d’autres camarades ont subi bien pire, surtout au niveau sexuel », confie-t-il. Des accusations formellement réfutées par la communauté religieuse.
Des enquêtes en cours
La justice s’est déjà saisie de certains faits reprochés à la communauté catholique. En mai dernier, le tribunal correctionnel de Béthune a condamné Alain Hocquemiller, ancien prieur du Village de Riaumont, à deux ans de prison avec sursis pour consultation d’images à caractère pédopornographique. Le religieux, qui a fait appel de cette condamnation, a également écopé d’une interdiction de cinq ans de toute activité professionnelle ou bénévole auprès de mineurs, ainsi que d’une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.
« Le Père Alain Hocquemiller ayant fait appel de sa condamnation pour consultation de fichiers pédopornographiques, la présomption d’innocence doit continuer de s’appliquer à son égard », précise l’avocat de Riaumont Octave Nitowski.
Lui et d’autres religieux sont également mis en examen pour violences volontaires sur mineurs. Des enquêtes sont toujours en cours.
De son côté, le diocèse d’Arras a rencontré des membres du collectif des victimes et anciens du Village d’enfants. L’évêque a invité les victimes à venir témoigner, par le biais d’un appel lancé en octobre dernier.
Un silence pesant
Adrien en est convaincu : ses camarades et lui ne se sentent « pas totalement libérés de là-bas ». « Tout le monde savait », affirme-t-il, avant d’ajouter : « Les maires successifs de Liévin se sont toujours tus, les habitants de Liévin également. Je me souviens du soir où j’ai fugué : personne n’a cherché à m’aider. »
Crédit photo : Clément Demazure
Trente ans plus tard, les anciens de Riaumont parlent, pour que leur "statut de victimes soit reconnu". « On veut que les coupables avouent et arrêtent de nier, de minimiser les faits et de se cacher derrière la prescription. » En dénonçant le passé de la communauté catholique de Riaumont, le collectif des victimes du Village d’enfants espère faire bouger les lignes — et surtout la loi. Il réclame la levée de la prescription, « quel que soit le motif », précise Adrien.
La Ville de Liévin sollicitée
Dans une lettre publique adressée il y a quelques jours au maire de Liévin, Laurent Duporge, les anciens pensionnaires de l’institution catholique demandent à la municipalité de reconnaître les sévices et maltraitances dénoncés, et de cesser d’associer la communauté religieuse et ses associations aux manifestations publiques.
À la suite de ce courrier, la communauté religieuse a renoncé à participer aux commémorations du 11-Novembre, mais sera présente au marché de Noël. Le collectif et le maire de Liévin, ont prévu de se rencontrer, dans les prochains jours.
Les défenseurs de Riaumont réagissent
Les derniers rebondissements — notamment la lettre adressée au maire de Liévin — ont suscité plusieurs réactions, dont celle du Collectif des victimes de la diffamation, composé d’anciens pensionnaires. En réponse, les défenseurs de Riaumont ont, eux aussi, écrit au maire de Liévin, Laurent Duporge, ainsi qu’au préfet du Pas-de-Calais, Laurent Touvet, ce lundi 10 novembre. Ils leur demandent, à leur tour, un entretien « dans un souci d’équité et de respect du contradictoire ».
« Je vous demande de bien vouloir accorder audience au Collectif des victimes de la diffamation, composé d’anciens pensionnaires de Riaumont souhaitant vous témoigner de leur expérience positive, réfuter les fausses accusations relayées dans certains médias et faire entendre la détresse que provoquent, pour eux et leurs familles, les diffamations répétées dont ils sont la cible », écrit leur avocat, Me Octave Nitkowski.
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